Une peinture délicate, d’une grande intelligence sensible…
Des effleurements pour aller au fond.
Pierre Souchaud
2020
Désordre, ou les surfaces de (p)réparation
L’artiste tente de livrer le portrait d’un monde perturbé, où l’entropie et les hasards de la circonstance sont au cœur de l’acte de peindre. Il s’agit pour l’artiste de trouver la justesse, la recherche d’un équilibre jaillissant, même précaire, pour qu’une émotion naisse dans la contradiction. Il s’agit de trouver notre place dans ce monde panoptique et normatif. Ainsi en va-t-il dans la matière mouvante et imprévisible par les moult ajouts, retraits, recouvrements, rencontres entre les figures, couleurs et éléments graphiques qui jalonnent sa peinture. Ainsi affleurent par contraste l’enfermement, la solitude, la société de consommation, la difficulté à communiquer, l’anonymat ou encore les effets des hégémonies humaines sur la planète.
Ce sont des sujets qui jalonnent l’œuvre de l’artiste pour mieux en extraire ce qui met le réel en tension dans l’éphémère : la question du temps, de la trace et de l’usure. Ce qui marque, scarifie une mémoire collective, fait trait, mouvement et événement. Il y a désordre, oui, mais il est finalement tout sauf désenchanté, car, face aux agitations du monde, Marie-Hélène Carcanague tente de reconstruire des espaces où imaginaires, architectures, êtres hybrides et graphies conversent et tentent peut-être de nous remettre un peu plus en phase avec le plaisir de l’étonnement et l’inattendu poétique.
Caroline Lafond – Commissaire d’exposition
2023
Sur la série « Les Invisibles »
Un infini respect
Le regard est de suite attiré par une main reposant sur le sol, paume ouverte vers le haut, doigts légèrement recourbés. Elle est blanche, seul blanc de la toile, ombres grises, le contour des doigts et leurs plis soulignés de noir. La main sort de ce qu’on devine être une couverture. Cette couverture enveloppe le corps, et comme pour mieux le protéger, efface ses formes. Sa couleur est claire, mais salie, ombreuse, tachée de rouille, peut-être la rouille frottée du pont d’un bateau, celui qui a conduit cet homme ici. Reflets bruns et orangés, relevés de touches de bleu ou de vert, de rose, qui parlent silencieusement de la fatigue et de l’usure, mais aussi de la vie d’avant, du départ auquel il a fallu consentir, de la fuite devant la guerre, la haine ou la misère, de l’exil. Le bord de la couverture est marqué d’un fin trait noir, brisé, divisé, dessinant comme des fêlures. Au-delà de ce trait, le fond de la toile est celui du sol sur lequel s’est allongé l’homme, le rivage enfin touché après la longue errance, le plancher simplement offert derrière une porte ouverte. Mêmes tons que ceux de la couverture, même grain, mêmes textures grattées, érodées, où se lit, peut-être, la douceur rugueuse d’une terre accueillante, bienveillante.
Sous la couverture, l’homme, ou la femme, dort, ou tente d’oublier. Humanité au ras de la terre, dont on ne distingue ni membre ni tête, humanité invisible. La main qui sort au dehors, ou sur la toile voisine un bras, un pied, la peinture de Marie-Hélène Carcanague les rend intensément présents. Présence ici détendue, apaisée ; là inquiète, interrogative ; toujours fragile. Après la traversée, une vie dévastée se recueille, rassemble des souffles de vie épars. On voudrait voir la couverture se soulever de ces souffles, bouger un peu. Parce qu’aussi bien le blanc de la main pourrait être celui de la mort, la couverture un linceul, on ne sait pas, on y pense. Ces Invisibles vivent sur l’indétermination, le suspens, d’une frontière ; frontière entre là-bas et ici, haine et fraternité, indifférence et compassion, peur et confiance. Cette frontière me traverse aussi, c’est en cela je crois que cette peinture me touche. Le monde que cette peinture rend visible est le nôtre, ces vies, en ce qu’elles témoignent de fragilité, d’incertitude, d’espoir aussi sans doute, sont les nôtres.
Sur une autre toile, des mains noires aux doigts disloqués se tendent hors d’un tumulte, celui d’une mer démontée. Au milieu de l’écume, un visage effaré percé d’une bouche ronde, il crie. Une transparence laisse entrevoir d’autres mains dans la profondeur de l’eau, simple dessin blanc ou noir de leur contour. Une autre encore agrippe une planche brisée, le reste d’un radeau. Je reviens vers les corps allongés, silencieux. Ici, sortant de dessous la couverture, une main se dresse, semble appeler à l’aide. Là, un avant-bras replié, main posée sur la poitrine, dans un sommeil serein. Sur une autre toile, ce sont deux pieds nus, joints, qui émergent de la couverture. Cette main, ce pied, rompent le plan de la toile, introduisent une profondeur. Et ainsi qu’on le sait de la perspective, plus qu’une troisième dimension spatiale, cette profondeur est celle du temps. Non pas le temps linéaire, mesuré, de la physique, ni une substance abstraite ou conceptuelle, mais le temps de l’instant vécu, éprouvé dans ses mystérieux battements, flux et reflux ; le temps qui s’éprouve au toucher d’un mur ancien, d’une peinture écaillée, d’une tôle rouillée.
C’est ce temps-là que la brosse ou le pinceau inscrit dans la toile et nous donne à voir. Une dernière chose : nulle accusation dans ces corps allongés, nul appel à la pitié. Ces invisibles, ces migrants que peint Marie-Hélène Carcanague, qui sont aussi les SDF de nos trottoirs, qu’elle peint avec un infini respect, nous obligent. Cette humanité est la nôtre.
François Charru
2016
Marie-Hélène Carcanague
Master of marks and textures
Marie-Helene Carcanague’s art is a journey through the abstract and figurative, where human beings, ill-bred animals, and fantastical beasts all come to life with their own stories to tell. Each piece is a window into the artist’s own experiences and the landscapes that have shaped her, inviting the viewer to explore and discover the hidden depths of her work.
She constantly pushes the boundaries of her craft and exploring new ways to express herself through her work.
Marie-Helene Carcanague has a very recognizable style. She has a clear preference for working on canvases measuring 100 x 80 cm. This format perfectly suits her artistic gesture and the tools she uses, allowing her to create distinct works with ease and freedom.
As an artist, Carcanague is a master of effects of matter, seamlessly blending acrylic, pencil, pastel, and collages to create stunningly layered works of art. Her paintings often feature the rich patina of time, with traces, signs, and marks left by the elements – from the weathered rocks and ancient walls, to the gnarled bark of trees, rust and graffiti.
Hajra Salinas – AAtonau !
2023