Si le monde était clair, l’art ne serait pas. Albert Camus.

Ecrits

Atelier d’écriture animé par Dominique Guillo
autour des peintures de Marie-Hélène Carcanague, séries « Prêt à porter » et « Les Invisibles »

Consigne : Entre robes esquissées prêtes à coudre et draps de lit pour sommeil assourdissant, fantômes d’armoire. Qu’attendent-ils ? Attendre, attendre encore…

« Attendre, attendre encore…
Espérer le grincement de la clef dans la porte, le crissement du gond revêche avant le jaillissement de la lumière.
S’ébrouer, virevolter de mille plis encore mal assurés. Oser. Oser le premier pas hors de l’armoire, hors de son odeur fade, s’échapper de l’immobilité qui corrompt le corps, asservit l’esprit ; jaillir dans la lumière à une grâce retrouvée. Palper la vie à pleine bouche et s’envoler, folles ballerines dans l’air du soir. »
Marie-José Lafon

« Ils attendent tous d’être habillés ou déshabillés !
Pourquoi se cachent-ils donc ? Est-ce qu’ils croient que l’habit fait le moine pour que leur corps disparaissent aussi ? Mais il est toujours temps d’apparaître, de naître ; ou renaître même, si c’est par les pieds ou avec la main ouverte d’une mendiante.
Si le corps apparaît, il semble lourd sans regard, mais les yeux du monde restent ouverts comme pour préserver nos conscience d’être. »
Marie-Christine Truflandier

« Fantôme de Fantine, errant dans cet atelier. Y a-t-elle vécu ? Elle ne s’en souvient plus. Des souvenirs furtifs s’échappent des fentes de sa mémoire, épousent le pli d’une robe, une emmanchure à bâtir, le col d’une veste, pas finie elle non plus. Elle attend que les tissus lui parlent. Elle sent bien que la couture était sa vie mais tout est flou. Même les couleurs ne lui parlent plus.
Dans un coin de la pièce, un lit. La mémoire l’effleure d’une main qui dépasse d’un drap. Des pieds sortent de sous l’édredon. A qui appartenaient-ils ?
Elle attend, mais rien de précis n’émerge de ce fatras de sensations pâles.
Un t.shirt traîne sur le dos d’une chaise. Elle sent qu’il l’appelle. Elle se glisse dedans, s’étonnant d’y être parvenue avant même d’en avoir formulé le désir.
Une odeur. Une odeur enfin vient bousculer son être.
Tout lui revient. Lumineux.
Maintenant, elle sait pourquoi elle hante ce lieu. »
Michel Imbert

« Attendre, attendre encore d’être en mouvement… d’improviser une danse dans la lumière du petit jour, avec désinvolture après l’assoupissement ouaté d’une nuit ouatée aux songes secrets empreints d’accents multicolores. »
Françoise Mounier

« Elle se prit la tête… Comment vais-je faire ?
Sa tante Clothilde était morte en lui léguant son atelier de couture : mannequins attendant la parure, robes inachevées à des degrés différents et ne demandant
qu’à vivre, histoires interrompues.
Pour qui était celle-ci avec ses couleurs de soleil ? Quelles épaules, quel décolleté devait-elle mettre en valeur ? Et celle-là, la rouge soyeuse aux reflets moirés, quelle brune aux yeux sombres l’aurait animée ?
Elle avait aussi trouvé des draps lui évoquant des linceuls. Dans cette atmosphère mystérieuse, elle avait eu la vision de corps effondrés sur eux-mêmes sous des draps blancs froissés. Sommeil profond, mort ?
Et cette espèce de gros meuble étrange avec ses petites ouvertures qui semblaient l’observer en douce, à quoi pouvait-il lui servir à sa tante ?
Elle attendait des réponses qui commençaient à lui parvenir par bribes… »
Tatiana

« Attendre, attendre encore !
Un corps ?
Quoi encore ?
Une vie ?
Quelle vie ?
Ma vie !
Robes inutiles, fracas du passé et de son inutilité.
Un tissu enroulé, drapé, simulacre d’apparence humaine …
Fantôme d’humanité, volupté du non être.
Je rigole de mon néant, je suis en périphérie et je m’en réjouis, je m’en délecte…
Après la survie, il y a la vie. C’est bon ainsi. Fantôme je suis et je savoure. »
Chantal-Marie Raymond

« Attendre, attendre encore… attendre qu’apparaisse la maîtresse des lieux, qu’elle se montre, dans l’une ou l’autre de ces robes inachevées, qu’elle arrache le drap qui l’enserre ensommeillée, qu’elle se montre nue avant de se draper !
Puisque tout lui va, lui convient, la met en valeur, alors, qu’elle enfile une tenue, car sans cela, elle reste transparente.
L’évidence est que la vie ne danse que parée d’un artifice, vague ou ajusté, terne ou coloré, fignolé ou juste cousu de gros fil à bâtir. La vie ne se montre qu’encadrée, alors… murmurent les fantômes, les désincarnés, les apparences confuses, appelant leurs prochaines enveloppes dans un souffle subtil. Il suffit d’entrouvrir les portes des armoires….
Déjà s’agitent les cintres et les toilettes en attente. »
Dominique Guillo